Rencontre avec Joël Jurion - Questions/réponses et rediff' du Live Facebook du 25 Mars

Rencontre avec Joël Jurion - Questions/réponses et rediff' du Live Facebook du 25 Mars

Vous avez manqué le Live Facebook de Joël Jurion, dessinateur de Klaw, du mercredi 25 mars 2020 ?

Vous pouvez retrouver ici un récapitulatif de toutes les questions qui ont été posées, ainsi que les réponses de Joël.

Bonne lecture, et n'hésitez pas à découvrir le tome 1 gratuitement durant le confinement !

Comment travailles-tu l’anatomie féminine ? Beaucoup de dessins d’observation ou tu as des techniques particulières ?

Pas seulement féminin, mais ça dépend des moments. Il y a eu deux époques. Le moment où j’ai besoin de savoir si je ne fais pas trop de bêtises et donc je travaille beaucoup avec des docs photo pour dessiner les poses. Mais souvent ce sont des dessins de têtes. Souvent, je pars sur ce que je veux dessiner et pas ce que je dois, comme une sorte de banque d’images qui se forme-déforme dans ma tête. Au début c’était beaucoup ça.
Je ne suis pas un modèle, car on dit toujours que quand on commence le dessin, normalement il faut sortir et dessiner grâce à ses observations. Moi, j’étais trop fainéant pour sortir, du coup, je dessinais beaucoup de tête, de mon imagination. Je suis quelqu’un qui a besoin de digérer le modèle.
Au bout d’un moment, à force de dessiner ce que tu as dans ta tête, tu te demandes à quel point tu t’es éloigné du modèle de base. Et donc souvent, j’ai des périodes où j’ouvre Google et tape des mots clefs. Mon historique de recherche ne ressemble à rien. Je me promène, et je cherche la pose que je veux ou vers laquelle j’essaie de tendre.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la BD ?

On peut dire le Club Dorothée. Mine de rien, c’est pas mal ça.
Ça, et le fait que je suis plutôt quelqu’un de casanier. Je suis quelqu’un qui aime bien rester assis pendant des heures.

Comment l’idée de Klaw est-elle venue ?

C’est un projet de mon scénariste. De base, l’idée existait avant moi. Par contre mon apport, c’est que quelques mois avant (2-3 mois avant) de contacter Antoine (Ozanam) pour lui proposer un projet commun, j’avais bossé sur un projet. Mais je n’aboutissais à rien. C’était un projet perso, une idée qui était venue de faire des personnages anthropomorphes dans un Paris ancien, pas post-apocalyptique, mais dans un monde où il y a une sorte de dictature. Pendant plusieurs mois, j’ai essayé de développer ce projet. C’était un univers avec beaucoup de personnages anthropomorphes, des humains, et dans un monde assez contemporain. Comme je n’arrivais à rien, au bout d’un moment je me suis dit : « Là, il faut que je trouve un projet, il faut que je fasse un projet, mais en même temps je ne veux pas perdre tout ce que j’ai fait pendant 2-3 mois, même plus. » Et donc j’ai contacté Antoine en lui demandant s’il avait un projet avec ce genre d’univers. Et il m’a dit oui et que c’était un projet qui s’appelait Tomassini.

Il y a une interview dans l’intégrale qui l’explique bien mieux, mais un gros, le projet était déjà là. Après, c’est plus le ton qui a évolué par rapport à ce qu’il avait au début qui était quelque chose de beaucoup plus sérieux.

Tu n’as jamais voulu bosser dans l’animation ?

J’ai bossé dans l’animation. Au début, le premier boulot c’était sur le film « Prodigies ». Après, c’était la série le petit prince, puis j’ai travaillé sur « Pourquoi j'ai pas mangé mon père. », et sur « Ballerina » en story-board. Sinon le reste c’était du character designer. C’était du model sheet. Ce n’était pas de l’animation quoi, ce n’était pas faire bouger les personnages, c’était juste les mettre en dessin. Et le story-board sur « Ballerina », pareil ce n’était pas vraiment mon métier parce que je ne suis pas quelqu’un de carré. Donc, même s’ils ont bien aimé ce que j’ai fait, il y avait un côté un peu…
Quand je bosse sur du story-board, c’est un peu comme si je mettais toutes mes idées dans un gobelet que je remue, je jette et puis après je fais avec ce qui est tombé. Ce qui en animation est assez bizarre, ce n’est pas vraiment gérable, car du story-board d’animation on fait toute la séquence timée en sachant qu’il faut toujours retoucher, enlever des trucs, mais en garder d’autres.

À quand un cross-over Blacksad/Klaw ?

Ouh la la…
Mais l’idée du cross-over, ceux qui me connaissent savent que c’est un truc que j’ai en tête depuis pas mal de temps.

Comment as-tu commencé à travailler avec Le Lombard ?

J’avais croisé Paul (Scorteccia), qui était éditeur chez Le Lombard à l’époque, à un salon en Corse. C’était une époque où j’adorais transporter des books avec des dessins dedans. Je l’ai croisé, il a vu mes books et il adoré ce que je faisais. C’était quelques années avant, donc ce n’était pas lié avec le projet Tomassini.
J’avais donc en tête qu’il adorait mon travail et j’avais ses coordonnées. Et des années après, avec le fait que je n’arrivais pas à aboutir à un projet et avec la proposition d'Antoine, qui était mon ami et dont j’aimais bien ce qu’il faisait, on en est arrivés à revenir au Lombard. Le projet s’est fait assez rapidement. Il avait déjà une structure de recherche de designs. Après c’est un peu comme des Legos. Une fois qu’on a le style de dessin, le reste ça va assez vite.
Une fois le projet fait, je l’ai proposé à Paul. On a eu un rendez-vous à Paris. Rendez-vous qui fut assez folklorique, car je suis arrivé plus tôt pour m’acheter une chaine hifi et donc Paul m’a vu arriver avec une chaine hifi sous le bras! On avait fait une ou deux pages et quelques pages de croquis et de story-board. Paul avait tout vu avant, il était convaincu, et le rendez-vous a plutôt tourné autour de formalités et de détails de contrat. Cela s’est fait assez naturellement. Souvent, les contrats que j’ai signés cela s’est fait un peu comme ça. Le projet se vend de lui-même, il est fort de lui-même. Un projet bancal s’il est bancal, le restera.

Y a-t-il encore beaucoup de tomes de prévus pour Klaw ?

Oui. C’est une série donc on est toujours sur des cycles. Pour Antoine, on est dans un esprit à la Thorgal. C’est une série, mais en même temps le personnage vieillit. Dans l'absolu, le but est de le suivre du début jusqu’à sa mort. Moi, je veux voir la série me survivre. Non pas survivre à ma mort, mais si je pars sur d’autres projets! J’ai l’esprit licence, faire du Marvel quoi. C’est une série qui a une évolution. Ce n’est pas du Tintin ou Astérix où le personnage ne vieillit jamais et où finalement il n’y a pas d’incidences. Il peut y avoir des personnages importants qui meurent. Si le héros meurt dans un tome, c’est la fin de la série.

Tu écoutes de la musique en bossant ?

Jusque-là je mettais beaucoup de sons de YouTube. Il me fallait juste un fond sonore, un peu comme si je travaillais dans un bar. Avoir de la vie, mais pas d’impliquant, donc je ne pouvais pas mettre de films. Mais des musiques de film c’est quelque chose qui a toujours été très présent. Moins depuis ces 2-3 dernières années, mais je pense que je vais y revenir. Je rouvre la bibliothèque de sons.
Le problème des musiques, c’est peut-être pour ça que j’avais laissé tomber, c’est que j’étais devenu beaucoup plus mécanique dans mon travail. Il m’est déjà arrivé qu’en écoutant une musique qui impliquait trop, j'arrive à un ton qui n’était pas celui de ma page. Et donc je me mettais à arrêter la page pour prendre un bout de feuille et faire un truc dans le ton de ce que j’entendais. Alors que si j’avais sur la page une discussion entre deux personnages pour savoir s’ils voulaient des gambas ou du saumon ce n’est pas pareil, on n’est pas dans le même move. Surtout que les pages encrées ne vont pas aussi vite qu’un dessin de board qui peut aller sur le rythme du son. Et en musique, je ne suis pas quelqu’un qui s’y connaît dans un style particulier, je suis très musique d’ascenseur. Tu me mets du Goldman, je suis dedans. Tu me mets du Evanescence, je suis dedans. Tu me mets beaucoup de choses, je suis dedans. Moi ce que j’aime bien, ce sont des musiques qui m’amènent des images.

Qu’est-ce que tu aimes le moins dessiner ?

Il y a des choses que je n’aime pas du tout, ce sont les choses trop réalistes. Cela m’ennuie et je ne suis pas forcément le plus doué pour le faire. Après en ce moment, j’ai tellement de choses à devoir faire, finir, que tout ce qui demande du temps m’ennuie beaucoup. Donc en fait, en ce moment ce qui me gêne le plus de dessiner, c’est les décors. Je suis très concentré sur les persos et puis je me dis qu’il faut le mettre dans un environnement et là je fais le fainéant. Ce n’est pas que je n’aime pas dessiner les décors, c’est qu'il faille un décor quoiqu’il arrive. Si on veut bien faire, c’est long à faire.
Et sinon, sur les choses que j’aime dessiner, mais que je vais éviter. Les pieds. On dit toujours que les choses les plus pénibles à dessiner ce sont les mains et les pieds. Les pieds c’est une tannée. Je sais que quand il y a un pied nu, je pleure. Un pied un peu fait vite fait, OK. Mais s’il y a un pied nu avec les orteils à faire… C’est tellement moche un pied.
Et les moustaches de tigre. Dans les BD ce sont les trucs que j’évite le plus. C’est plus un élément facile à faire quand on fait ses couleurs numériques, mais en dessin, je ne les fais jamais. C’est un peu trop compliqué à gérer.
Quand je dis que les décors c’est vraiment le pire. En fait, c’est devenu très compliqué, car ce sont des décors numériques. Et les décors à dessiner numériquement c’est la chose que je sais le moins bien faire. Souvent, je dessine sur papier et puis je les scanne.

Quels sont les artistes qui t’ont le plus influencé ?

C’est un peu compliqué, car il y a les auteurs qu’on aime, qu’on adore, mais on sait que ce n’est pas son influence, notre univers. Tu es plus impressionné par quelque chose qui ne te touche pas. Donc c’est différent entre ceux que tu adores et ceux qui t’influencent. Enfin, il y a quand même des points communs. Celui qui m’a le plus influencé sur beaucoup de choses c’est John Byrne.
Ceux qui m’ont influencé quand j'étais dans la vingtaine, Adam Warren (Empowered), ou bien Tirésias (Rossi & Le Tendre). C’est une des BD qui m’a le plus marquée. Masamune Shirow (Orion) aussi. Orion, c'est un univers qui me touche plus que Ghost in the Shell. Et bien sûr, Akira Toriyama (Dragon Ball). Uderzo sur Astérix. Une des rares BD où j’ai eu un fou rire sur une case. Franquin et les idées noires.
En auteurs récents, il y en a plein.

Comment as-tu travaillé pour créer tes personnages ?

C’est plus un univers que j’avais développé. J’étais très influencé par les personnages anthropomorphes un peu comme Blacksad, Zootopia ou les choses comme ça. C’est un peu faire des animaux, mais sans faire des animaux. Faire du trop réaliste ce n’est pas quelque chose que je sais faire. Et travailler les animaux c’est travailler toutes les morphologies. Donc je suis parti sur l’anthropomorphisme qui est de dessiner des animaux en forme plutôt humaines et expressives. Et c’est comme ça que ça s’est fait. Dans ma vie j’ai souvent fait des personnages un peu bizarres, pas forcément humains. Un peu extraterrestres ou autres. Beaucoup de personnages animaliers. Et j’ai développé un projet qui n’a jamais abouti, mais ça m’a permis d’avoir une bibliothèque de formes, de designs.
Klaw, finalement, c’est un univers contemporain où il y a des personnages qui se transforment en animaux.

Que fais-tu les jours où tu n’as pas envie de dessiner ?

Il n’y a pas de jours où je n’ai pas envie de dessiner. Je ne joue pas aux jeux vidéo.
Il y a des jours où je ne sais pas quoi dessiner donc ça, c’est très frustrant et donc je me force à dessiner.
Il y a des jours où je ne dessine pas, mais c’est très rare. Même quand on fait des choses, je prends toujours un petit carnet. Souvent, soit j’imagine, soit je pense des choses.
S’il y avait des jours où je n’ai vraiment pas envie de dessiner, j’irais voir des films. Ou je lirais des BD, des romans.

Quelle est la chose la plus importante à savoir quand on dessine ?

Cela dépend ce qu’on dessine. Mine de rien, on dit toujours que la BD est un média où il faut savoir tout dessiner. Même s’il y a des auteurs de BD qui ne diraient pas ça. Je dis toujours qu’en BD il faut être moyen partout et excellent nulle part. Dans le sens, où, on n’est pas un sous-art, mais on ne peut pas faire l’impasse sur un élément contrairement à beaucoup d’autres médias. Il faut être bon en anatomie sans être excellent, faut maitriser son sujet, il faut être bon en narration. Quelquefois c’est même ce qui est le plus important. On peut être très mauvais sur tout et être excellent en narration, et on peut faire de la BD. On peut être excellent en dessin et mauvais en narration. Là on fait une ou deux BD, mais ça ne marquera pas. Enfin si, mais comme illustration. Mais les gens ne vont pas être emballés, on ne pourra pas vraiment faire quelque chose d’excellent. La narration est quasiment le plus important quand on fait de la BD.
Après en dessin, il y a plusieurs écoles. En dessin pur, si on est d’accord déjà pour dire que la narration c’est essentiel en BD. En dessin pur, le principal c'est la perspective. Même pour l’anatomie, c’est super important, car un corps qu’on dessine vu du dessus ou du dessous ce n’est pas du tout le même corps. Pas besoin d’être bon en anatomie pure. Pas besoin de savoir comment ton épaule marche exactement, chaque positionnement des muscles et leurs noms. Pour faire de la BD, et faire de la bonne anatomie, il faut décomposer en volumes simples. Ton bras ce sera un cylindre. Ce qui sera important c’est de dessiner ton cylindre dans ta perspective. Il faut savoir construire des perspectives. Et alors là, tu peux faire ce que tu veux, ce sont des Legos. Ton personnage, tu mets ta tête, il y a un rond, tu fais l’axe et puis tu brodes dessus.
Après, si c’est pour impressionner tu as plein de choses. Comme on dit, si tu veux apprendre à dessiner, prends ton carnet de croquis et dessine ce que tu vois. C’est un peu comme un exercice. Si tu veux faire du sport, on va te dire, prends tes chaussures et fais du footing. Ce n’est pas ça qui te rendra champion, mais sans ça tu ne pourras pas. Le croquis c’est un peu ton exercice musculaire, c’est ton échauffement. Quand tu es auteur de BD, tu as ta banque d’images dans ta tête. Si tu veux dessiner un personnage ce n’est pas que sa tête, son regard, c’est ses habits, ses chaussures, quand ça tombe, c’est la porte derrière lui, comment tu fais ta poignée de porte. Ce n’est pas si simple. Aux États-Unis ce n’est pas la même poignée de porte. Comme pour les fenêtres. C’est ta bibliothèque qui est dans ta tête. Quand tu n’as pas ça, tu passes ton temps à taper sur Google et à essayer d’apprendre à dessiner tous ces trucs qui font que ton monde existe. Et puis après, si tu es très fort en narration, ton monde, cela peut être juste des totos. Il y a des auteurs de BD comme le scénariste de Bref, il faisait des BD qu’avec des bulles, pas de dessins. Comme quoi, on peut faire de la BD sans dessin.

Prévois-tu de faire des séances de dédicaces dans le futur post-coronavirus ?

Je ne sais pas, cela dépend. J’ai des invitations, mais pour l’instant ça s’annule. On m’a fait une proposition il n’y a pas longtemps pour laquelle je vais peut-être dire oui. Pour la Fête du Livre de Toulon le 20 et 22 novembre.

Quel est ton plat préféré ?

Ce qui est bon. J’aime bien tout ce qui est saint-jacques, crevettes, pâtes, nouilles.
Il y en a plein, donc trop compliqué.

Comment travailles-tu avec Antoine Ozanam, le scénariste de Klaw ?

Il m’envoie le scénario et je dessine. Je lui fais confiance pour sa partie de job et il me fait confiance pour ma partie de job. Il m’envoie les pages et je me mets dessus. Vu qu’on est au tome 12, il y a des automatismes. Il n’y a même plus de recherches. Quand il y a des nouveaux décors, je clique sur Google. J’ai une bibliothèque d’images dans la tête dans laquelle je puise, toujours les legos. C’est très classique. Le scénario et le dessin sont deux travaux distincts, mais en fonction des teams, l’un peut s’impliquer plus. Je sais qu’Antoine, quand il écrit ses scénars, il fait ses petits boards pour savoir où il va et il ne me les montre jamais, car c’est son moyen mnémotechnique à lui. Et moi, je n’interviens pas dans le scénario. Alors qu’il y a des équipes où le dessinateur fait des propositions.

On peut t’envoyer des livres pour des dédicaces ?

Le problème quand on m’envoie des albums c’est que je dessine beaucoup trop et j’ai beaucoup de choses à faire et je procrastine beaucoup. Donc souvent, les albums ont tendance à rester là, donc je ne fais pas de dédicaces chez moi. Il ne vaut mieux pas m’envoyer des livres, car vous risquez de ne pas les revoir ;-)

Merci Joël !