Michelin : une aventure industrielle française

Michelin : une aventure industrielle française

Interview des auteurs, Cédric Mayen & Fabien Nappey :

Les rois de la route

20 juin 1940. Après avoir balayé l’armée française, la Wehrmacht approche de Clermont-Ferrand. Le IIIe Reich est particulièrement intéressé par les usines Michelin, dont les produits sont réputés pour leur qualité. Près d’un demi-siècle après l’invention du pneu démontable pour bicyclette qui est à l’origine de la fortune de la marque au Bibendum, Édouard Michelin n’a plus que ses yeux pour pleurer. Arrivé au seuil de sa vie, il craint que l’entreprise qu’il a patiemment bâtie avec son frère André ne soit saisie, voire démantelée par les nouveaux maîtres de la France. Le vieil homme se remémore alors les moments décisifs de son existence, de sa découverte du caoutchouc grâce à sa tante Liz à la création de la 2CV, le lancement du guide et des bornes Michelin, ou encore le développement des plantations d’hévéas en Asie du sud-est.

Dans l’histoire industrielle française, les grandes sagas automobiles - Renault, Peugeot, Citroën… - ont souvent tendance à occulter le parcours d’un autre fleuron tricolore : Michelin. Pour raconter son incroyable destin, le scénariste Cédric Mayen et le dessinateur Fabien Nappey ont choisi de se concentrer sur le parcours de ses créateurs. Grâce à un long et patient travail de recherche, notamment aux archives de l’entreprise, le lecteur découvre pas-à-pas comment André et Édouard Michelin ont bâti leur histoire, se révélant à la fois réalistes et opportunistes, mais aussi diablement visionnaires.

Êtes-vous passionnés par l’histoire de l’automobile ?

Fabien Nappey : Pour être parfaitement honnête, cela ne faisait pas vraiment partie de mes centres d’intérêt. Mais j’ai découvert un univers passionnant. Ce qui m’a le plus fasciné, c’est l’aspect humain derrière la grande histoire de la Révolution industrielle. Quand on a la chance de plonger dans cette période charnière qui a façonné le monde de mobilité dans lequel nous vivons, comment ne pas s’y intéresser ?

Cédric Mayen
 : J’avais déjà eu l’occasion d’effleurer ces thèmes avec mon album précédent, Edelweiss (dessin Lucy Mazel), dont Edmond, l’un des personnages principaux, est fortement influencé par mon grand-père, qui fut ouvrier puis cadre chez Renault. J’adorais l’écouter me raconter ses histoires d’usine et d’atelier. Cela a façonné le scénariste que je suis devenu. Et puis, j’ai la fâcheuse tendance à me lancer à corps perdu dans le travail de recherche, ce qui m’amène à côtoyer de véritables passionnés, dont l’enthousiasme est contagieux.

À quand remonte votre intérêt pour les frères Michelin ?

Cédric Mayen : Je les avais déjà croisés au hasard de recherches à l’époque où je travaillais pour Delcourt sur un projet steampunk, où s’opposaient des inventeurs dans des arènes de combat. On y retrouvait Tesla, Edison, Einstein, ainsi que Marie Curie et les frères Michelin. Ce projet n’a malheureusement pas vu le jour, mais j’avais mis de côté quelques notes intéressantes. Lors des premiers contacts pour ce projet, j’ai été convié à l’Aventure Michelin, à Clermont-Ferrand. J’ai eu accès à de nombreuses salles d’archives privées, historiques et familiales. Tenir entre mes mains les premiers croquis du Bibendum dessinés par Édouard Michelin a été une expérience inoubliable. J’ai tout de suite senti l’artiste derrière l’entrepreneur, et cela m’a beaucoup ému. Il m’a fallu plus de temps pour bien cerner André. C’est la raison pour laquelle il est d’abord vu à travers le regard de son frère.

Fabien Nappey : Je les ai vraiment découverts quand Cédric m’a parlé du projet. J’ai pu percevoir leur histoire et leurs personnalités fascinantes grâce aux recherches que nous avons faites pour réaliser l’album. Pour qu’une entreprise ait pu prendre autant d’ampleur, il fallait des bases solides, que les frères Michelin ont posées. Ils ont été novateurs dans tellement de domaines que cela m’a permis de me poser de nouveaux défis en termes de dessin. Je n’avais jamais représenté autant de vélos, de voitures, et d’avions de décennies différentes. J’ai ainsi pleinement compris l’impact qu’ils avaient eu sur ces industries.

À quels documents avez-vous pu avoir accès ?

Cédric Mayen : J’ai pu avoir un accès illimité aux archives de la maison Michelin, ce qui m’a beaucoup aidé pour l’écriture. J’ai aussi reçu l’aide précieuse d’Aurélia Léchelon, la documentaliste de l’Aventure Michelin.

Fabien Nappey : J’ai trouvé beaucoup de documentation visuelle sur Internet. Grâce à Aurélia, j’ai aussi eu accès à l’intranet de Michelin et à toute leur documentation graphique. Nous avons également reçu beaucoup de livres et de documents via le partenariat entre Michelin et Le Lombard. Bien sûr, nous avons dû faire quelques adaptations, pour plus de cohérence narrative.

Que représente pour vous la société Michelin ?

Fabien Nappey : Quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, je me suis rendu compte que les logos Michelin étaient absolument partout. Pas seulement en France, mais dans le monde entier. Le Bibendum est vraiment l’ambassadeur d’une marque française haut de gamme, qui a toujours su se réinventer pour rester au top. Plus d’un siècle après sa création, cela reste une référence.

Cédric Mayen : Comme le dit Fabien, le Bibendum Michelin est un ambassadeur français omniprésent dans le monde. Il est devenu un symbole universel d’excellence, tout comme le guide Michelin. En France, la maison Michelin n’a pas été que novatrice dans la technologie ; elle l’a aussi été dans l’encadrement social de ses employés. On peut vraiment mesurer l’importance qu’ont eue les doctrines hygiénistes de Marcel Michelin, ou la création des nombreuses cliniques et écoles patronnées par la maison. Certes, avec la relecture actuelle, on peut y voir une forme de paternalisme d’entreprise. Mais à l’époque, c’était une véritable avancée sociale

Pour qui n’est pas passionné d’automobile, la saga industrielle d’André et Édouard Michelin peut rester assez méconnue. Pourtant, au-delà d’un guide gastronomique prestigieux et d’un porte-drapeau mondialement connu, le Bibendum, les deux frères sont tout simplement à l’origine de l’un des plus vieux fleurons de l’industrie française. Exemple patent d’entreprise paternaliste – un modèle hérité du XIXe siècle, avec ses cités ouvrières et, à Clermont-Ferrand, son célèbre club de rugby –, Michelin s’est progressivement transformé durant les Trente Glorieuses, pour devenir l’une des premières multinationales tricolores.

Aujourd’hui, Michelin est l’un des leaders mondiaux du pneumatique, se disputant la première place du podium avec son éternel rival : Bridgestone. Le succès, la marque au Bibendum le doit à sa capacité à innover. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle frappe un grand coup en déposant le brevet du pneu Radial. Une audace unique dans un paysage industriel français encore apathique après quatre années d’occupation. Le Michelin X est une véritable révolution, que toute la concurrence va allègrement imiter. Il propulse Michelin vers les sommets, jusqu’à ce que l’entreprise occupe la place de numéro un mondial, en 1979.

En 2021, elle affiche un chiffre d’affaires de 23,8 milliards d’euros, pour un bénéfice net d’1,8 milliard. À l’heure actuelle, Michelin dispose de sites de production dans une quinzaine de pays et emploie 121.000 personnes à travers le monde, dont 20.000 en France. La société continue sans cesse à réinventer cet équipement automobile qui lui doit tant. Parmi ses dernières innovations en date, on peut notamment citer le Track connect, qui se trouve être le premier pneu connecté, mais également le e.Primacy, un pneu spécialement conçu pour les véhicules électriques.

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